18 April 2018

Liquidation avant fermeture 4/5 - Les enfants véganes sont des enfants

J'ai plusieurs débuts de brouillons qui se courent après concernant les enfants, et j'ai toujours eu de la peine à les terminer parce qu'ils me semblent parfois aller à contre-courant des grandes tendances quand on parle des enfants véganes. C'est d'autant plus amusant que pendant plusieurs années j'ai caressé l'idée d'écrire un livre concernant l'éducation des enfants véganes, non pas comme un témoignage mais comme un ouvrage de recherche journalistique accompagné de témoignages. J'ai finalement laissé tomber parce que je craignais, si je l'organisais comme je le voulais, qu'il soit à la fois mal reçu par la communauté végane et pris comme une bonne excuse par la communauté omnivore. Et donc, mal compris.

★   Si je me suis trompé sans faire exprès, est-ce que je suis encore végane?   ★

Cet ouvrage serait parti d'un simple postulat de base: les enfants véganes sont des enfants. Et nous, en tant que parents véganes, nous élevons des enfants parallèlement au fait que nous sommes véganes. Mais élever des enfants, ce n'est pas les façonner à notre image, c'est leur donner des racines, des clefs de compréhension du monde, et la capacité d'utiliser leur propre jugement pour plus tard faire leurs propres choix.

J'ai toujours fait tout ce que j'ai pu pour que mes enfants puissent être véganes le plus possible partout où ils allaient. J'ai préparé des milliers de muffins et cupcakes qu'ils amènent aux anniversaires où ils sont invités, j'ai des feuilles d'explication de leur régime disponibles pour chaque stage, des équivalents de menus prêts à dégainer pour les semaines loin avec l'école, des mots polis et compréhensifs pour les autres parents, etc. 

Mais avec maintenant neuf ans d'expérience en tant que parent végane, je sais que ce que j'enseigne à mes enfants de plus important n'est pas le véganisme, mais  bien la compassion. La compassion envers les animaux, bien entendu. Mais aussi la compassion envers les autres et envers eux-mêmes.

★   Pourquoi les autres gens ils ne savent pas que les animaux morts c'est des animaux?   ★

Et parfois, la compassion, c'est de n'être végane qu'à 95 pourcent.
Parfois, la compassion c'est de ne rien dire aux animatrices d'un stage quand elles ont servi des tartines de miel artisanal sans se rendre compte que ce n'était pas végane, et sourire à son enfant qui les a adorées.
Parfois, la compassion, c'est de dire merci et déguster en souriant des feuilletés de saucisses de soja préparés avec amour à Noël par la belle-famille qui a fait super attention pendant des semaines avant pour tous les ingrédients pour avoir du végane, belle-famille à qui on a dû dire quelques heures plus tôt que non cette margarine-là achetée exprès pour nous n'était pas végane, alors la compassion, quand on voit tous ces efforts et tous ces différents plats c'est de fermer les yeux et se taire quand on voit qu'il y a en fait du blanc d'oeuf dans ces saucisses de soja là parce qu'on sait que c'était une erreur totalement involontaire.
Parfois, la compassion, c'est de laisser passer des bonbons pas véganes sans le dire parce qu'on voit bien que notre enfant a besoin d'appartenir et de participer.
Parfois, la compassion c'est d'être fierté devant un pain fait maison par son enfant avec l'école, et le déguster avec lui même si on découvre que la recette utilisée en classe contient du beurre (ciel mais pourquoi du beurre?!).

Mlle V a neuf ans. Depuis l'année passée, elle explore les limites de son véganisme. Nous ne le lui avons jamais ni permis ni interdit. Quand elle demande si elle peut, on lui dit pourquoi nous avons choisi de ne pas manger ça. Et quand elle accepte le partage de pâtes au pesto au parmesan d'une copine et se sent coupable ensuite, nous ne la grondons absolument pas, mais nous lui disons que les choix qu'elle a à faire ne sont pas faciles pour des adultes et qu'il est donc tout à fait normal que ce ne soit pas évident pour elle. Et que ce sont des choix qui lui appartiennent, et que personne n'a à juger, même pas nous.

Mini V a cinq ans, il est encore trop petit. Mais il a déjà demandé si comme sa soeur il pourra plus tard choisir lui-même. La réponse est bien sûr que oui.

★   J'avais oublié que j'étais végane, alors j'ai pris une tartine au fromage pas végane. Et puis je me suis souvenu et j'ai mangé la mienne.  

Ce que j'ai constaté jusqu'ici, par contre, c'est que ces tests de limites se font avec les bonbons, les biscuits, exceptionnellement un bout de gâteau, et rarement du fromage. Mais jusqu'ici absolument jamais avec de la chair animale. Comme quoi, certaines choses semblent déjà bien ancrées dans leur compréhension du monde.

Ce que je sais, c'est qu'un enfant qui a envie de goûter, de tester, le fera de toute façon, à l'école, chez une copine... De notre comportement dépend si ce sera fait en cachette ou sans drame. Et il est pour moi beaucoup plus important de nourrir une relation de confiance et de respect mutuel avec mes enfants, que d'élever des enfants véganes.

Et puis quand on creuse, même chez les mères véganes qui semblent tellement parfaites qu'elles en sont extrêmement intimidantes, on voit que tout parent végane fait des compromis parce que c'est la seule façon de survivre. Mais quand même des "mamans parfaites" avouent qu'elles ont peur de dire qu'elles ont emmené leur enfant chez McDo exceptionnellement, ou qu'elles marchent sur des oeufs (presque littéralement) pour expliquer qu'elles ont laissé leur enfant manger des oeufs de poules de jardin, on a un problème. Laissons les parents véganes faire comme les autres parents, c'est-à-dire de leur mieux, et puis merde.

Grandir, c'est pas facile. Grandir dans ce monde, c'est vraiment pas facile. Et grandir en étant différent - voire en cumulant les différences - c'est déjà assez compliqué comme ça. Alors oui, mes enfants sont véganes, ils ont leurs boîtes à l'école, amènent des gâteaux partout (enfin presque, tant de parents autour de nous leur achètent ou préparent exprès des choses qu'ils peuvent manger!), sont des champions de la B12 et de la levure de bière et se fournissent même de l'autre côté de l'océan en chaussons de danse sans cuir. Mais oui, aussi, mes enfants testent parfois comment ça peut être différent, et c'est leur façon de grandir.

★   Moi, j'ai plus envie d'être végane, j'ai envie que tous les autres le soient.   ★

Parallèlement, ils ont besoin de rester véganes mais d'avoir un peu comme les autres. Et notre parti pris est de les laisser consommer certaines choses qui n'ont pas forcément notre approbation à priori, mais qui les font se sentir "pareils". Pour ne pas avoir à leur montrer que des refus. Alors souvent, si c'est végane, même si c'est la fête de l'artificiel, ils peuvent en manger. Et au bout du compte, en comparant avec tous les cracras (comme on dit ici) que ceux de leur âge mangent je pense franchement que ça va. Ce n'est pas un choix idéal, mais c'est le nôtre.




Il leur arrive donc de consommer des Hula Hoops paprika et des chips goût bolognèse de Crocky (et oui, cette "saveur" est étrangement végane), frites-sourire de McCain, Oreos classiques ou mini, céréales Reine des Neige et Star Wars de Kellogg's, galettes vanille de Succès du Jour, Dragibus de Haribo au cinéma, etc.

Pour faire le tri côté bonbons, je me réfère à un tableau des additifs alimentaires et de leurs composants. Ils adorent les Pez, les Napoléons aux fruits, les Lutti aux fruits, certains Look-O-Look (attention, ils sont loin d'être tous végétaliens), les Tic Tac blancs à la menthe,...

Et j'en ai marre qu'on me dise souvent dans ces cas-là que ce serait soi-disant contraire à ma démarche. Ou que "c'est quand même bizarre des enfants véganes qui n'aiment pas les légumes". C'est en cohérence, en "comme on peut" en élevant des enfants, et mon véganisme est éthique et non "healthy".

En résumé: élever des enfants qui sont en confiance, sont informés, et développent des arguments et des réflexions pour faire leurs propres choix éclairés en grandissant, qu'ils soient les mêmes que les nôtres ou non.

Alors voilà, tout simplement, les enfants véganes sont des enfants.

Illustration par Nicoletta Ceccoli empruntée ici